Travailler à jouer

Durant 15 ans, j’ai été maîtresse. J’ai rencontré des enfants magnifiques, qui, ensemble, formaient une petite société parfaite. Ils avaient en eux la joie, l’enthousiasme, l’humour, des connaissances atypiques et étendues, des raisonnements étonnants, de la gentillesse, de la franchise, de la débrouillardise, du courage, de la confiance. Il y avait des leaders, des casse-cous et des raisonnables, des malicieux et des discrets. De l’entraide naturelle. Ces intelligences multiples faisaient qu’à eux tous, ils travaillaient à quelque chose de beau et de complet. A eux tous, ils étaient complets. Complets de ce qu’apportait chaque enfant. Je me souviens de constructions de cabanes ou de barrages, dans la forêt, où je m’émerveillais de voir à quel point tout s’organisait sans que j’intervienne, chacun là où il était à l’aise. Ils créaient, dans leur être et leur action, ce dont on pourrait rêver, en tant qu’adultes, de construire avec d’autres. Du travail, du vrai beau travail, sans regard extérieur jugeant ou évaluant, sans concurrence ni pression. Alors pourquoi attend-on que chaque enfant soit complet à lui tout seul, soit efficace, apprenne aussi vite et bien que son voisin sur tous les plans ? Pourquoi, dès les premières années de sa vie, l’enfant doit-il être évalué, normé, calibré ? Pourquoi veut on le placer dans l’abstrait alors que la vie n’a de sens que parce qu’elle est concrète ? Trop souvent, dans le monde qu’on impose à l’enfant en construction, il y a la notion de temps à respecter, d’efficacité, d’objectifs et de réussite, décidés par les adultes. Il y a trop souvent la primauté de la connaissance sur l’expérience. Il y a la notion de récompense après le labeur. Et qui dit système de récompense, dit stress et enfermement. Nous savons bien tout cela au fond de nous, car nous le vivons tous, au quotidien de notre travail d’adulte : que l’expérience ensemble fait sens, que la comparaison ou la normalisation excluent le bien-être, que connaître quelque chose ne sert à rien si on ne peut pas le partager, que l’individualité de chacun fait la richesse du groupe et la joie dans le travail. Qui sommes nous, adultes, pour porter un regard sur le travail de l’enfant ? L’enfant travaille chaque instant à grandir, parfois avec plus ou moins d’obstacles. Un travail tellement énorme ! Un travail tellement important et beau, qui n’est pas toujours visible. L’enfant devrait travailler à jouer sans cesse. Il devrait n’être que dans le jeu. Un jeu qui peut être long ou fastidieux parfois, mais qu’importe. L’effort porté entraînera une joie nouvelle une fois l’action maitrisée ou la connaissance acquise. Tout enfant devrait associer le mot travail à quelque chose de positif : c’est beau d’apprendre, de créer, de partager, d’agir ensemble. Chaque adulte devrait l’y aider, en l’accompagnant, avec un émerveillement pour cette personne en devenir, qui grandit sous ses yeux. Et pourtant, durant ces 15 ans avec des enfants magnifiques, je n’ai pas réussi à vraiment dissocier le mot travail d’un aspect pesant. Poids de mes supérieurs, poids de la société, poids de mon propre passé ? J’ai peut-être semé des petites graines de bien-être et de confiance en soi, pendant ces temps si précieux passés ensemble. On travaille bien quand on aime. Merci à tous ces enfants qui m’ont appris à travailler sur tant de choses grâce à leur exemple.

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