L'immensité de la vie

Un jour tu es amoureux, à nouveau, et c’est la première fois. Une tension dans ton corps, une tension unique, là, qui part de ton centre. Une tension que tu ne connais pas et que tu aimes car elle te transforme. Tu as 15 ans à nouveau, et tu sais que c’est ridicule. Mais tu aimes cette boussole qui s’affole, tu aimes cette fébrilité, tu aimes être en dehors de toi, tendu vers une personne qui est devenue un dieu. Un dieu, car aujourd’hui, aux premiers jours de ton amour, elle est le début et elle est la fin de tes pensées désordonnées. Un dieu, car tu sens que tu es en cette personne autant que cette personne est en toi, à chaque instant et depuis toujours. Et il était ainsi avant même que tu la connaisses. Il était ainsi alors même que tu étais dans les bras d’un autre, dans tes autres vies, celles qui ont été tuées, celles qui se sont évaporées. Elles qui ont construit la personne que tu es. Tu connais le pendant de cet état, l’exact opposé. Celui qui un jour t’a anéanti. Ce trou immense, sans fond, qui s’est créé quand l’amour n’a pu plus fonctionner. Parce que la mort l’a décapité avec tant de violence que tu es tombé à terre sans te relever. Tu as vécu cet exact contraire. Il a rongé tout ton intérieur, il a envahi toutes tes pensées, toutes les cellules de ton corps. Il a été le début et la fin de chaque instant, pour t’assommer sans cesse. Le regard que tu posais sur ce qui t’entoure, sur ce qui t’arrive était le regard de l’amoureux perdu, en chute libre. La vie t’offre tout cela. Elle t’offre l’amour et la mort, la chute et l’envol avec tant de générosité et tant de désordre que tu ne peux que la remercier. Comme je remercie celui qui m’offre aujourd’hui, sans le savoir, l’immensité de la vie par un simple baiser. Peut-être tout cela est-il une chimère. Peut-être que dans la nuit, des murs auront poussé là où il n’y avait qu’un vaste horizon. Mais ce n’est pas bien grave dans le fond, car une personne, par son baiser, m’a donné l’immensité de la vie, à nouveau.